L’utilisation raisonnée des ressources, la rationalisation de la consommation d’énergie et l’économie circulaire sont des sujets au cœur des discussions politiques et environnementales actuelles.
En effet, au vu des dérèglements climatiques en cours, il est nécessaire d’agir rapidement afin de limiter les répercussions des excès et négligences de la société humaine sur l’environnement et la santé.
En Europe, le secteur de la construction représente 25 milliards de m² construits dont 75 % de logements. De plus, 40 % des bâtiments ont été construits avant 1960 [1]. Ce secteur consomme énormément d’énergie et de ressources. Le potentiel d’amélioration de la construction est donc important que ce soit en termes d’émissions de gaz à effet de serre ou d’utilisation des ressources.
Indépendamment des aspects financiers, le plus souvent prépondérants dans la conception des bâtiments, les maîtres d’ouvrage et d’œuvre vont être de plus en plus confrontés aux conséquences environnementales de leurs choix de matériaux. La comparaison de ceux-ci de manière objective est ardue et délicate mais il existe des outils d’aide à la décision qui objectivent les caractéristiques des produits sur un plan environnemental et qui permettent leur comparaison.
[1] European Conference On Sustainable Renovation Of Buildings (2012) – Formation Construction Bois
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Afin de connaitre l’impact d’un matériau sur l’environnement, il est intéressant d’étudier et d’analyser son cycle de vie (Figure 1) pour pouvoir le comparer à d’autres matériaux. L’ACV est la carte d’identité environnementale d’un produit. Selon la norme ISO 14040 : « l’analyse de cycle de vie traite des aspects environnementaux et les impacts environnementaux potentiels tout au long du cycle de vie d’un produit, de l’acquisition des matières premières à sa production, son utilisation, son traitement en fin de vie, son recyclage et sa mise en rebut. » Ces étapes successives sont redéfinies dans la norme EN 15978 en 4 modules avec un module supplémentaire de réutilisation des matériaux (Figure 2).
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Selon les étapes prises en compte dans l’étude et donc les limites définies, différents types d’ACV existent (Figure 2) :
Afin d’harmoniser et de promouvoir les réalisations d’ACV et EPD, des normes internationales ont été établies. Les normes établissant le cadre général des ACV et EPD sont :
Ensuite, il existe des normes spécifiques aux produits de construction :
Enfin, une dernière norme européenne est spécifique aux produits en bois :
Une Déclaration Environnementale de Produit (DEP) ou Environmental Product Declaration (EPD) est une « déclaration écrite reprenant des informations quantifiées relatives à un ensemble déterminé d’indicateurs d’impacts environnementaux, et des informations complémentaires basées sur une analyse de cycle de vie suivant la norme NBN ISO 14044 » [1]. Une unité fonctionnelle (par exemple 1 m³ du produit étudié) est définie afin de pouvoir comparer deux produits. L’EPD peut se rapporter au produit d’une entreprise en particulier (EPD individuelle) ou peut porter sur un même produit commercialisé par différents acteurs du marché, on parle alors d’EPD collective.
En Belgique, l’Arrêté royal du 22 mai 2014 prévoit la création d’une base de données EPD fédérale et définit plusieurs règles propres à un programme EPD, intitulé « Programme EPD belge » ou B-EPD. L’EPD doit obligatoirement être vérifiée par une tierce personne (une liste a été établie par le SPF Santé publique). Une fois vérifiée et validée, l’EPD est publiée sur le site www.environmentalproductdeclarations.eu. L’EPD est valable 5 ans (à partir de la rédaction).
En France, l’équivalent de l’EPD est la Fiche de déclaration environnementale et sanitaire (FDES). Le site internet DE-bois, mis en place par le FCBA (sous mandat du CODIFAB) permet d’obtenir une FDES collective ou individuelle de manière simple. L’ensemble des FDES existantes sont compilées dans la base de données INIES.
[1] TOTEM – Le Guide – Une méthodologie belge pour évaluer les impacts environnementaux des bâtiments, 2020
La Wallonie, la Flandre et la Région bruxelloise ont développé un outil d’évaluation de l’impact environnemental des matériaux de construction : l’outil TOTEM (Tool to Optimise the Total Environmental impact of Materials) dont l’usage, à terme, deviendra obligatoire (au même titre que la PEB). Cet outil se base sur des analyses de cycle de vie (ACV) des matériaux, synthétisées sous forme de Déclaration Environnementale de Produit (DEP ou EPD en anglais). Actuellement, les données de référence utilisées proviennent de la base de données suisse Eco-Invent.
C’est une bonne référence et un excellent point de départ mais qui présente des limites. Ainsi, pour les secteurs du bois et plus généralement des matériaux biosourcés, les réalités suisses ne peuvent être aisément transposées à la Belgique ! De plus, la diversité des matériaux évolue de façon telle que l’outil TOTEM ne peut contenir toutes les informations relatives à ces nouveaux produits et réalise certains raccourcis hâtifs. Par exemple, à l’origine de l’outil, les bardages en bois étaient systématiquement considérés comme ayant subi un traitement de préservation, ce qui les pénalisait fortement car les bardages sont très rarement traités. Un regard critique sur les résultats est donc indispensable !
En dehors de la référence Eco-Invent choisie pour l’outil TOTEM, le système est cependant prévu pour être relativement ouvert et évolutif. Cela signifie que les équipes de gestion de l’outil peuvent intégrer des données réactualisées ou plus réalistes si on leur apporte la preuve scientifique des valeurs environnementales des matériaux. De manière concrète, un groupe d’entreprises fabriquant un produit similaire peut collaborer pour présenter une DEP commune pour ce produit dont ils jugent les résultats plus intéressants d’un point de vue environnemental que les valeurs par défaut contenue dans la base de données Eco-Invent, si elles existent. Cela fut par exemple le cas, en 2020, à l’initiative de Hout Info Bois et de l’Office Économique Wallon du Bois, pour des producteurs belges de poutres en lamellé-collé (document à télécharger ici). Une entreprise seule, peut faire la même démarche si elle estime que son produit est encore plus performant sur le plan de son poids environnemental que la valeur moyenne d’une association d’entreprises ou celles d’Eco-Invent.
Concrètement, l’outil TOTEM est une interface digitale gratuite et accessible à tous par simple inscription. Les partenaires impliqués sont l’OVAM (Région flamande), Bruxelles-Environnement (Région de Bruxelles-Capitale) et le Service Public de Wallonie (Région wallonne). Durant la phase de recherche et développement qui a duré 5 ans, les administrations ont collaboré avec des partenaires scientifiques tels que le VITO, le CSTC et la KULeuven.
Dans un premier temps, des données génériques provenant de la base de données Eco-Invent (Suisse) sont utilisées. L’objectif par la suite est d’utiliser des données spécifiques à la Belgique via des EPD réalisées par les producteurs de matériaux et regroupées dans la base de données B-EPD.
Les résultats des différentes EPD sont ensuite traduits en indicateurs environnementaux spécifiques. Dans TOTEM, deux groupes d’indicateurs sont utilisés pour évaluer l’impact environnemental des bâtiments :
Ces indicateurs sont détaillés dans le tableau ci-dessous.
Groupe |
Indicateur |
Unité |
CEN | 1. Réchauffement climatique | kg CO2 équivalent |
2. Appauvrissement de la couche d’ozone | kg CFC 11 équivalent | |
3. Acidification des sols et de l’eau | kg SO2 équivalent | |
4. Eutrophisation | kg (PO4)3- équivalent | |
5. Formation d’ozone photochimique | kg éthylène équivalent | |
6. Épuisement des ressources abiotiques (éléments) | kg Sb équivalent | |
7. Épuisement des ressources abiotiques (combustibles fossiles) | Méga Joule (MJ) | |
CEN+ | 1. Toxicité humaine | DALY (Disability Adjusted Life Years) |
2. Particules fines | DALY | |
3. Rayonnement ionisant | DALY | |
4. Écotoxicité pour écosystèmes aquatiques d’eau douce | kg DB (dichlorobenzène) équivalent | |
5. Occupation du sol | Matière organique : déficit en kg C
Biodiversité : m². an |
|
6. Transformation du sol | Matière organique : déficit en kg C
Biodiversité : m² |
|
7. Eau (épuisement des ressources) | m³ d’eau |
L’ensemble de ces indicateurs mène au profil environnemental du produit/élément de construction/bâtiment étudié. Afin de pouvoir comparer différents éléments, les indicateurs sont ensuite pondérés via la méthode de la monétarisation (Monetisation of the MMG method). La valeur obtenue exprime, en euros, le coût financier qu’engendrerait la « réparation » des dommages causés à l’environnement suite à l’emploi du produit/élément de construction/bâtiment.
La problématique actuelle est le manque de représentation de certains secteurs de la construction dans la base de données B-EPD. Sans réalisation d’EPD adaptées, des valeurs génériques (Eco-Invent) sont attribuées aux indicateurs des produits concernés et ces dernières peuvent être pénalisantes par rapport aux valeurs réelles correspondantes à la production belge. La filière bois ainsi que le secteur des autres matériaux bio-sourcés sont concernés. Si rien n’est fait, ce constat ne fera que se renforcer au fil du temps et des matériaux naturels et renouvelables risquent d’être pénalisés, voire ignorés au bénéfice d’autres matériaux non renouvelables. Il est important dès lors que tous les matériaux de construction soient représentés de manière équivalente et cohérente par rapport à la réalité belge.
Un produit qui ne figure pas dans la base de données B-EPD est un produit dont l’utilisation est, à terme, sera pénalisée voire condamnée !
En Flandres, l’utilisation de l’outil TOTEM est déjà obligatoire dans les marchés publics via le référentiel GRO (critère MAT02) [1]. À terme, ce référentiel devrait être étendu aux 3 régions, ce qui impliquera une utilisation systématique de l’outil TOTEM dans de marchés publics en Belgique.
Depuis le 1er janvier 2021, la Région de Bruxelles-Capitale octroie une prime « étude de conception TOTEM » à hauteur de 200 € par unité de logement. Pour l’obtenir, le projet doit être modélisé dans TOTEM et des variantes des matériaux ayant le plus gros impact environnemental doivent être étudiées afin de limiter les impacts néfastes sur l’environnement.
Au niveau international, TOTEM a été reconnu pour la certification BREEAM [2] (Building Research Establishment Environmental Assessment Method). BREEAM est un système international qui consiste en une méthode d’évaluation de la performance environnementale des bâtiments. Plus de 2 millions de bâtiments sont aujourd’hui certifiés BREEAM dont 424 en Belgique. L’outil TOTEM peut être utilisé dans certains référentiels de cette certification dans la rubrique relative aux matériaux.
[1] GRO: Op weg naar toekomstgerichte bouwprojecten | Vlaanderen.be
[2] https://environnement.brussels/news/loutil-totem-reconnu-pour-la-certification-breeam